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Interview

Jeanne Fauquenot, randonneuse au long cours : « Ma vie a commencé quand j'ai osé me lancer seule »

En 2019, alors qu'elle vient de passer le cap des 30 ans, Jeanne Fauquenot se lance sans aucune expérience dans une itinérance en solitaire de plus de 2000 kilomètres sur le GR® 65 - Compostelle par Le Puy. Deux ans plus tard, elle accroche à son palmarès deux autres randonnées au long cours, rappelant à tou·te·s que partir seule à l'aventure et en autonomie, c'est possible !

Pour ceux qui ne te connaîtraient pas, peux-tu te présenter en quelques mots ?

Je m’appelle Jeanne Fauquenot, j’ai 31 ans et je suis historienne de l’art. Enfin, si l’on doit se contenter d’une présentation « classique ». En réalité, je suis une femme dynamique, passionnée et ressentant le besoin de prendre du recul dans sa vie pour se reconnecter avec l’essentiel.

Tu en es aujourd’hui à ta troisième randonnée au long cours, la dernière étant celle entre Dunkerque et Menton. Comment t’es venue cette idée de partir aussi longtemps sur une aussi longue distance ?

J’ai découvert la randonnée lorsque je me suis lancée (du jour au lendemain) sur 2 100 kilomètres entre le Puy-en-Velay et Saint-Jacques-de-Compostelle, en 2019. Je n’avais jusqu’alors jamais porté de sac à dos, ni même imaginé qu’il était faisable de partir en itinérance, à pied, sur plusieurs mois. Mais il m’était devenu vital de faire un break dans la vie que je menais, pour être certaine que j’empruntais la bonne voie ; celle qui me rendrait heureuse. La randonnée m’est apparue comme une réelle opportunité. Marcher tous les jours, couper avec mon rythme quotidien et sortir de ma zone de confort, ce fut ma solution pour prendre du recul sur ma situation.

Jeanne Fauquenot, randonneuse au long cours

Arrivée à Menton sur le GR® 52 - Grande Traversée du Mercantour

Pourquoi avoir choisi de faire cette randonnée vers Compostelle seule ?

Tout d’abord par choix, j’avais besoin de me retrouver, de faire face à ce défi toute seule, de trouver mon propre rythme, de cesser les compromis pour savoir qui j’étais, ce que j’avais dans le ventre et dans la tête… Bref, c’était évident qu’il fallait que je parte seule. Puis lors de ma seconde randonnée (GR® 34 - Sentier des douaniers, ndlr), c’était plus par obligation, je n’ai trouvé personne pour partir marcher avec moi aussi longtemps. Et j’y ai découvert un vrai plaisir. Découvrir des paysages à mon rythme (soit lent, soit rapide), aller boire un café si j’en ressens l’envie, prendre le temps de discuter avec des gens (ou pas…). Puis c’est devenu une habitude. J’adore partager un bout de chemin avec des gens de passage, mais je suis ravie de retrouver mon indépendance lorsque je suis seule.

Pour moi, la marche est la meilleure façon de renouer avec soi, mais aussi de découvrir une région, le patrimoine, le mode de vie et les habitants de cette dernière. C’est une exploration des paysages et surtout une découverte humaine. Alors même sur ces 2 800 derniers kilomètres (Dunkerque-Menton et la traversée des Vosges, du Jura et des Alpes), j’avoue ne jamais m’être lassée de tout ce qui m’entourait. D’autant plus que tu ne sais jamais ce que tu vas découvrir, comment tu vas le recevoir et ce que ça va soulever en toi, de bonheur, de peine ou de questionnement.

Pendant une itinérance au long cours en solitaire, même si le chemin est parsemé de belles rencontres, on se retrouve seule une bonne partie du chemin. Pour certains, c’est d’ailleurs le but : être seul avec soi-même, vivre dans l’introspection. Mais j’imagine que certains moments sont parfois plus difficiles à vivre que d’autres. Comment as-tu géré cette randonnée en solitaire et les coups de mou que cela implique sans doute aussi ?

Bien évidemment, partir seule si longtemps, c’est dur. Je me suis rendue compte que souvent mes coups de mou étaient liés à la fatigue. Si physiquement je suis épuisée, j’ai du mal à faire face à certaines situations. J’ai même l’impression que c’est insurmontable. Et puis je me pose, je prends le temps de manger, de dormir et les solutions apparaissent toutes seules. Je me suis découvert une grande capacité d’adaptation et je me fais de plus en plus confiance. C’est comme ça que je me sors des coups de mou passagers. Quand j’ai vraiment besoin d’en parler, j’ai des amis merveilleux, un mari en or et une famille super présente. Ils ne peuvent pas vraiment comprendre ce que je ressens, mais ils sont là quand j’ai besoin de me changer les idées et ils sont une matière grise sans précédent lorsque je ne trouve absolument pas de solution.

Jeanne Fauquenot, randonneuse au long cours

Parc national de la Vanoise © Victor Barreau

D’après une étude d’Ipsos menée par Tripadvisor en 2015, 74 % des femmes souhaiteraient partir seules, mais 80 % d’entre elles expriment les mêmes difficultés : la sécurité, les dépenses, la solitude. Comment as-tu affronté ces difficultés et quel(s) message(s) souhaiterais-tu passer à ces femmes qui éprouveraient encore des difficultés à l’idée de se lancer ?

J’ai toujours eu du mal à me confronter à la solitude. Peut-être parce que l’on m’avait fait comprendre que c’était négatif, que ce n’était pas rassurant, que j’étais plus en proie aux difficultés et aux menaces… Je vous laisse faire le test, si vous notez sur votre téléphone portable « oui, je suis seule », c’est un petit smiley triste qui est associé à ce dernier… Voilà ce que l’on nous inculque inconsciemment. Mais je n’ai jamais été aussi heureuse qu’une fois libérée de ce préjugé. Ma vie a commencé quand j’ai osé me lancer seule ; lorsque j’ai appris, au fil des kilomètres, à me faire confiance. J’ai découvert que j’étais tout à fait capable de me sortir de 2-3 galères, mais surtout de rencontrer l’autre sans préjugé, sans peur et sans injonction. La vie n’en est que plus apaisante. Je ne suis, pour autant, pas inconsciente et je fais attention. Je fais confiance à mon sixième sens lorsqu’il émet quelques alertes. Voilà réglées les questions de sécurité et de solitude. Pour les dépenses, je dors dans ma tente, le plus souvent en bivouac, donc les dépenses se réduisent à l’achat de la nourriture. Ce sont des dépenses que l’on a, où que l’on soit. Très clairement, la randonnée au long cours est beaucoup moins onéreuse que des vacances « lambda ».

À vous toutes et tous, si vous ressentez l’envie ou le besoin de vous lancer dans une telle aventure, sachez que vous trouverez les ressources en vous et que l’insécurité n’est qu’un préjugé de plus. Pour les femmes qui continuent à se questionner, nous ne sommes pas moins fortes ou moins en sécurité que les hommes, nous ne sommes pas des petites choses fragiles qu’il faut protéger, il suffit de faire attention et le chemin fait le reste.

L’un des nerfs de la guerre pour le randonneur, c’est d’avoir son sac à dos le plus léger possible. Comment gères-tu cet aspect-là sur une durée aussi longue ? (vêtements, nourriture, …).

J’ai très peu de matériel et je le choisis très précisément parce qu’il est léger et résistant. Par exemple, je n’ai pas d’affaire de rechange : pas de seconde paire de chaussettes, pas de deuxième t-shirt et pas d’autre pantalon que celui que je porte tous les jours… En tout et pour tout, j’ai, dans mon sac de 60L, une tente, un sac de couchage, un matelas, de quoi faire un peu de cuisine, des vêtements de pluie et un change pour le soir (histoire d’avoir chaud). À ça, il faut rajouter un peu de matériel électronique, un peu de pharmacie et une petite trousse de toilette, du papier à origami, un carnet, un livre et c’est tout. Je pars avec 9 kg (grand max) pour un voyage de plusieurs milliers de kilomètres à pied et en autonomie. Il faut ensuite rajouter le poids de l’eau (1,5 kg en moyenne) et la nourriture (ça peut très vite grimper). À savoir que l’on trouve partout de l’eau, munissez-vous d’un filtre et vous serez libérés de la contrainte de porter beaucoup d’eau. Quant à la nourriture, avec une autonomie de 4 jours (max) vous n’aurez pas de mal à rallier un nouveau village pour vous ravitailler. Si vous voulez en savoir plus sur le matériel, j’ai détaillé tous les contenus de mes sacs de rando sur mon blog : La liste du matériel sur le France Est Trail – Histoires de voyage (travel.blog).

Jeanne Fauquenot, randonneuse au long cours

Le tombeau du Géant (Belgique), l'un des sites les plus connus de l'Ardenne belge

Aurais-tu des conseils ou astuces à donner aux randonneurs pour organiser au mieux leur voyage tout en respectant la nature et les espaces protégés ou sensibles que tu traverses ?

En terme d’organisation, le plus simple, c’est de suivre des chemins balisés du type grande randonnée (GR), petite randonnée (PR), etc… Ça permet de marcher sereinement sur des chemins et de traverser assez régulièrement des villages ou des villes. Et mon petit conseil, c’est d’essayer de rester sur les sentiers histoire de laisser le reste de la nature tranquille, surtout dans les parcs nationaux et régionaux.

En bivouac, le principe est simple : ne pas voir que vous êtes passés pour que d’autres puissent profiter du même endroit sans désagréments. Donc pas de feu (plutôt porter une petite bouteille de gaz et un réchaud), creuser un trou pour vos besoins naturels (d’où la mini pelle) et surtout ne laisser aucun déchet (tout porter jusqu’à la prochaine poubelle et ça peut être dans plusieurs jours). S’il est conseillé de ne pas bivouaquer dans certains parcs, je conseille de suivre les recommandations, il doit y avoir une raison, même si ça ne vous arrange pas, il est urgent de respecter notre environnement avant nos petits caprices libertaires. Vous n’êtes pas seul et si aucun d’entre nous ne respecte les règles, la nature va en pâtir très clairement. Et je vous conseille fortement de planter votre tente entre 19h et 7h ou 9h du matin. Bref, ce ne sont pas des choses extraordinaires, il faut juste penser aux autres et surtout à la nature qui nous entoure, bataillant pour reprendre ses droits.

On dit souvent que marcher - qui plus est au long court- nous fait réfléchir, peut changer notre perception sur ce qui nous entoure, les autres, la nature etc. Ces aventures t-ont-elles changées ?

Inévitablement, oui ! Passer 2, 3 ou 4 mois loin de ses repères, de ses habitudes et des siens m’a fait remettre beaucoup de choses en question. Il faut imaginer que, lorsque l’on marche, on est à la merci de tout : la météo, le conducteur qui regarde son téléphone et qui nous frôle, l’exode urbain et la fermeture des commerces dans les villages, etc. Nous ne sommes pas grand-chose au final.

Lorsque je suis sur les chemins, je remercie la personne courageuse qui a osé reprendre un bar (une boulangerie ou une épicerie) en campagne, car c’est une aubaine pour moi, un moment où je peux prendre un café, recharger mon téléphone et discuter avec des gens. Ces héros du quotidien sont les garants d’un lien social dans ces villages ! Alors j’avoue ne plus avoir envie de consommer dans un supermarché, je ressens le besoin de reprendre du temps pour ce qui semble primordial : se sustenter qualitativement. J’en ai marre de ne plus prendre de temps pour rien et d’essayer de toujours optimiser mon temps.

Mais c’est une chose parmi tant d’autres. Le respect pour la nature, les animaux et les gens ; l’importance du sport et ses bienfaits et le rejet de certaines règles désuètes (à mes yeux)… Lorsque je reviens de ce type d’aventure, je suis emplie de bonnes intentions et de grandes idées. Mais la vie reprend, en partie, son cours, et j’ai tendance à me faire happer de nouveau, à retomber dans certains travers et perdre mon objectif premier : être heureuse.

Je me rassure en sachant que, lorsque je lèverais la tête du guidon (comme on dit), j’aurai la présence d’esprit d’essayer de me recentrer et de reprendre des habitudes qui me sont chères telles que faire le marché, profiter d’un repas en famille, lire, écrire ou appeler mes amis. Ce qui revient à prendre du temps, vraiment !

As-tu des choses que tu souhaiterais évoquer mais qui n’ont pas été exposées pendant ces précédentes questions ?

Il y a aurait cent choses à dire : notre impact sur la planète, notre consommation irraisonnée, la beauté de la France, l’impact de l’activité sportive, la difficulté, mais la liberté de la vie dans la nature, l’importance du lâcher prise… Mais plus que de les exposer froidement par des mots, je conseille à toute personne qui se sent l’envie d’essayer, de se lancer. Il n’y a que par les actes que l’on prend conscience de qui l’on est, de ce que l’on veut, et d’où on souhaite aller. Je pourrais parler (et écrire) pendant des heures de mes 7 000 premiers kilomètres à pied, car ils m’ont tant apporté, mais le mieux c’est d’oser se faire confiance et de franchir le seuil de chez soi, sac sur le dos, pour découvrir la beauté du monde qui nous entoure.

Jeanne Fauquenot, randonneuse au long cours

Le lac des Perches ou lac des Bers, dans le massif des Vosges (GR® 5)

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Rédaction MonGR - novembre 2021

Publié le 15/11/2021